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Promesses et serments

Allongés nus sous la ramure d’un orme centenaire, Gowan et Rhys se laissaient bercer par le chant du ruisseau qui se mêlait au lointain bourdonnement des insectes. De temps à autre, au gré de la brise légère se glissaient quelques rayons de soleil par les trouées, venant réchauffer leurs corps à demi endormis. Le doux parfum sucré des genêts et des jacinthes des bois acheva la perfection de ces instants de grâce qui d’ici peu, disparaîtraient à jamais.

Ce dernier moment d’intimité fut exigé par Rhys en souvenir de leurs nombreuses échappées au cours desquelles corps et âme, ils s’abandonnaient l’un à l’autre.

​

Le lendemain, Gowan épouserait la fille du laird Glencoe, ennemi juré de son père, dont le fief était voisin du leur. Après des années d’affrontements sporadiques, les deux chefs avaient été contraints de signer une alliance en vue d’affronter un ennemi bien plus puissant et mieux armés : les Anglais. Ces maudits constipés aux visages blafards s’aventuraient de plus en plus loin dans les hautes terres, pillant et massacrant sans distinction, toute forme de vie.

Un nouveau soulèvement se préparait. De plus en plus de clans se ralliaient aux jacobites. Aux yeux de Rhys, la menace d’une guerre imminente rendait ces instants privilégiés plus extraordinaires que jamais.

Sa tête calée sur le ventre ferme de Gowan se souleva lorsqu’un changement modifia le rythme de sa respiration. Ce dernier grogna dans son sommeil et Rhys sut qu’il rêvait. Depuis l’annonce de ses noces, son ami ne trouvait plus le repos. Son père n’avait pas sollicité son avis, estimant qu’un mariage serait l’unique moyen de maintenir le traité entre les deux clans, dans l’éventualité où Glencoe se rétracterait, l’honneur du laird étant aussi fluctuant que l’humeur d’une femme enceinte. L’héritier n’avait par conséquent pas voix au chapitre, les affaires du clan MacDonell passaient avant tout le reste. Et peu importait ses états d’âme.

En dépit de sa beauté fade, Rhys enviait Riona, la jeune promise. Les commérages disaient qu’un prétendant lui faisait une cour assidue. Cette évocation venait de lui donner une idée. Les rouages de son cerveau se mirent brusquement en action.  

Au bout d’un certain temps, un autre grognement le tira de ses réflexions. Rhys caressa doucement sa cuisse en chuchotant des mots apaisants. Sa peau répondit à son contact par un long frisson. Spontanément, la main calleuse de Gowan se glissa dans sa crinière fauve et guida sa tête vers son entrejambe que l’afflux de sang avait raidi à l’extrême. Le relief de ses veines ainsi que sa couleur lui rappelant les groseilles sauvages lui mirent l’eau à la bouche. Il n’eut pas besoin d’un encouragement supplémentaire. L’instant d’après, Rhys honorait une dernière fois sa verge avec l’ardeur intense et désespérée de graver son empreinte pour l’éternité.

Le lendemain, Rhys se présenta devant son ami, satisfait de sa nuit et sa matinée bien remplies.

Gowan le tira à l’intérieur de sa chambre, le plaqua contre la porte puis prit sa bouche d’assaut. Sa férocité fut telle qu’un goût métallique se déploya dans leurs bouches.

– Où étais-tu donc passé ? grogna Gowan, le souffle court.

– J’avais à faire…

– Je t’ai attendu. Je pensais que nous passerions cette dernière nuit ensemble.

– Que veux-tu dire par « dernière » ?

– Tu le sais très bien.

Pas vraiment, non… Devant son air interrogateur, son amant s’expliqua :

– Je suis un homme d’honneur et si je jure fidélité, eh bien…

Rhys n’en doutait pas une seconde, mais…

– C’est ce que nous verrons, marmonna-t-il en retour avec une pointe de défi.

Puis, il plongea la main dans son sporran et en sortit une bague ornée d’un rubis ayant appartenu à son père. Il la déposa dans la paume de son amant et replia les doigts qu’il porta ensuite à sa bouche. Ses lèvres s’attardèrent longuement sur son poing, le temps pour lui de maîtriser l’émotion nouant sa gorge :

– J’aimerais que tu la portes en témoignage de mon a…, affection.

Gowan la considéra un moment et lut à l’intérieur de l’anneau, la gravure usée par le temps : « Gu bràth ».

– Pour l’éternité.., cita-t-il doucement. Rhys, je… Comment pourrais-je accepter le seul bien légué par ton père ?

– Parce que c’est mon vœu le plus cher, parce que ta place dans mon cœur restera unique, et enfin, parce que si tu t’avises de refuser, je pulvérise définitivement ta future descendance, murmura-t-il en lui empoignant l’entrejambe.

Gowan le saisit par le col et l’embrassa durement.

– J’accepte ton présent et mesure pleinement la portée symbolique de ton geste, assura-t-il en glissant la bague à l’un de ses doigts. En retour, j’aimerais que l’on échange nos broches.

Rhys regarda la boucle argentée retenant son plaid sur l’épaule gauche, orné du corbeau, symbole de leur clan, puis plongea dans son regard bleu empreint de solennité :

– Tu es sérieux ? Et que dira ton père si tu ne portes pas le crest de cérémonie pour tes noces ?

En effet, le vieux laird lui avait remis la broche qui se transmettait d’une génération à l’autre et ne servant que dans les grandes occasions. Lui-même l’avait reçue de son père pour son propre mariage. Celle-ci se distinguait par les feuilles de trèfle estampées sous la devise du clan MacDonell « Creag an Fhitich ». Gowan se renfrogna :

– Je n’ai que faire de son opinion. Qu’il aille en enfer ! Il n’a pas daigné me laisser le choix de mon épouse, il n’aura pas celui de ma tenue de cérémonie. Qu’il s’estime heureux que je porte le tartan aux couleurs du clan. Non, je veux que tu arbores fièrement ma broche.

– Il risque de le percevoir comme une provocation et m’envoyer en exil, plaisanta Rhys.

– Eh bien, nous partirons ensemble et il devra s’asseoir sur sa descendance. Je ne cèderais pas, tant qu’il n’acceptera pas ton retour, dit-il en se serrant contre lui.

Des bruits de pas précipités accompagnés de cris résonnèrent dans la coursive et en contre-bas, dans la salle principale où se tiendraient les festivités.

– Que se passe-t-il, encore..?

– Je crains que tes noces ne soient annulées, annonça Rhys en se mordant le coin de la lèvre afin de masquer son sourire.

– Qu’as-tu fait, mo charaid ?

– J’ai bien peur que ta douce ne t’ait abandonné au pied de l’autel et s’est enfuie avec son prétendant...

– Béni soit le Seigneur ! Et j’imagine que c’est à toi que je dois cette disgrâce.

– Aye ! Et il en sera ainsi chaque fois que se présentera une lassie, je t’en fais le serment.

Gowan l’embrassa fougueusement, oubliant l’effervescence des lieux pour se contrer sur celle de son entrejambe, affamé par le besoin de se perdre en lui…

Venusia A.

09/02/2018

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