top of page

Serments Obscurs

Le froid contre ma joue me fit reprendre conscience et réveilla également une douleur sur le haut de mon crâne. Ma main se porta machinalement dessus ce qui aggrava le lancinement. Un liquide poisseux s’échappait de ce qui semblait être une blessure. J’ouvris les yeux et je réalisai malgré la pénombre que j’étais dans une pièce. Le sol en pierre sur lequel j’étais allongé était glacé. Une odeur de renfermé flotta jusqu’à mes narines et me confirma ce que j’avais imaginé ; j’étais dans un sous-sol ou une cave. Je me redressais péniblement sur mes avant-bras avec un geignement de douleur puis regardai autour de moi. Le peu de clarté apportée par les fenêtres opaques à ras du plafond, me permit de distinguer une porte métallique sur le côté et une masse sombre au fond de la pièce. Je me dressai en position assise. La station prolongée au sol m’avait glacé jusqu’aux os.

– C’est quoi, ce bordel ? marmonnai-je.

– Chhhut !

Surpris, je me tournai en direction du bruit et le temps d’accoutumer mes yeux à l’obscurité, je vis une forme dans l’angle qui se dessina. La silhouette était assise, les genoux repliés.

– Ne faites pas de bruit, murmura une voix féminine.

– Qu’est-ce que je fais ici ? demandai-je doucement.

– Si je le savais…

Je rampai jusqu’au matelas à même le sol où elle se tenait. On distinguait à peine les traits de son visage. Elle semblait menue, pratiquement le corps d’une adolescente.

– Où est-ce qu’on est ?

– Vous en avez d’autres, comme celle-là ? Dans une cellule, évidemment !

– Tiens donc ! J’avais pas remarqué, ironisai-je. Et où se trouve cette cellule, d’après vous ?

Elle releva son visage et se mit à… humer l’air ?

– Merde, un humain, lâcha-t-elle. Je comprends pas, vous…

– Un humain ? l’interrompis-je. C’est quoi, cette blague ? Vous êtes une extra-terrestre, peut-être ?

– La ferme ! Parlez moins fort ! m’ordonna-t-elle.

– Sinon, quoi ? On va me lobotomiser ?

– Ça pourrait être pire, souffla-t-elle. Comment se fait-il que vous ayez la marque ?

– La marque ? dis-je en portant machinalement la main à la base de mon cou.

– Comment savez-vous que j’ai une marque ? On ne voit rien dans ce trou à rat…

– Merci pour le rat. Je la sens, c’est tout.

– Vous la sentez, répétai-je dubitatif. Que savez-vous à propos de ça ?

– Que c’est une revendication.

– Une revendication, répétai-je, une fois de plus.

C’était quoi, ce bordel ? Je ne comprenais rien à cette histoire qui commençait sérieusement à me gonfler. Je m’appuyai contre le mur à ses côtés en soupirant, las de tout ceci. Je demandai des précisions sur cette revendication. Elle m’expliqua que j’appartenais à quelqu’un. Quelle blague !

– C’est quoi, la prochaine étape ? Un voyage intersidéral à bord de l’USS Enterprise avec monsieur Spock ?

– Il vaudrait peut-être mieux, commenta la jeune femme.

– Vous plaisantez ? Vous pensez sérieusement que je vais gober des conneries pareilles… Je ne comprends rien. Je me retrouve avec un trou de mémoire de plusieurs jours avec des douleurs de crâne en veux-tu, en voilà alors que je n’ai jamais reçu de coup avant aujourd’hui. Sans parler de mes cauchemars récurrents et du malaise permanent quand j’étais chez moi.

Je lui racontais toutes les choses troublantes des derniers jours.

– Résilience, dit-elle simplement quand j’eus terminé mon récit.

– Résilience ? répétai-je encore.

– Vous comptez rabâcher à chaque fois ?

– Qu’est-ce que vous entendez par résilience ? demandai-je sans répondre à sa question.

– Chaque fois que des souvenirs sont sur le point de resurgir, il y a un blocage, d’où vos douleurs intenses. Avez-vous entendu parler de mémoire résiduelle ?

– Ça me dit vaguement quelque chose…

– On dit parfois que les objets ou les lieux gardent en mémoire des évènements passés, eh bien, c’est pareil. Sauf qu’à chaque fois, vos souvenirs sont bloqués. Ce sont en général des objets ou des lieux liés à des évènements intenses qui tentent de resurgir en premier.

– Vous voulez dire que je n’étais pas dingue quand je pensais que la table de la cuisine me provoquait ces douleurs atroces ?

Je lui racontais les conclusions stupides que j’avais tirées de ce phénomène, à ce moment-là. Pour le coup, toutes mes crises me revinrent en mémoire et je me demandai ce que j’avais bien pu faire d’extraordinaire sur le ponton et en quoi mon véhicule avait joué un rôle. La perte de connaissance devant mon pick-up m’avait directement expédié à l’hôpital. Bon sang, qu’avais-je foutu ? Avais-je renversé quelqu’un sur la route ? C’était impossible ; ma calandre était nickel. Je repris la parole  :

– Si je comprends bien, on m’a lavé le cerveau.

– On vous a effacé la mémoire.

– Et c’est possible, ça ? Je nage en plein cauchemar…

– Seulement sur les humains.

– Et vous, vous êtes quoi, au juste ? Un drone ? Un E.T. ?

– Méta, dit-elle après une brève hésitation.

– Désolé mais je ne me balade jamais avec du crack dans les poches.

– Métamorphe, idiot !

C’était quoi encore, cette blague ? Comme tout le monde, j’avais vu cette particularité d’Odo dans Star trek et dans bon nombre de séries télévisées. J’éclatais de rire.

– Chhhuuuttt !

– Vous avez respiré trop longtemps les moisissures de cette cellule, me moquai-je.

J’entendis brusquement un grondement sourd sortir de sa gorge. Je rampai sur le cul, loin d’elle. Putain ! C’était quoi encore, ce machin ? Elle se mit à rire doucement devant ma fuite.

– Ça fait toujours cet effet, la première fois, fit-elle lorsqu’elle se calma enfin.

Mon cœur tambourinait comme un dingue. Je me demandais si le coup porté sur ma tête ne m’avait pas atteint plus que je ne l’avais imaginé.

– Bienvenu dans notre monde, finit-elle par dire. Allez, boudez pas dans votre coin. Vous ne risquez rien avec moi, j’ai déjà mangé.

– Je devrais peut-être snifer la moisissure, en fin de compte, dis-je peu rassuré.

Tout ceci me paraissait grotesque. Pourtant, comment le remettre en cause quand tant de choses s’expliquaient et me réconfortaient sur ma santé mentale ? Mais c’était si… énorme. De la folie. Tout compte fait, il y avait de quoi devenir vraiment dingue.

– Comment vous appelez-vous ?

– Russ. Russel, bégayai-je, en déglutissant difficilement.

– Allez, Russ. Venez vous asseoir près de moi, dit-elle en tapotant le matelas. Si j’avais voulu vous bouffer, je l’aurais fait quand vous étiez dans les vapes.

Hein, bouffer ? Gloups…

– Je m’appelle Urbanah, se présenta-t-elle. Mais tu peux m’appeler Anah.

Malgré la trouille bleue ressentie, j’approchai doucement de la jeune femme. J’étais un mec, merde ! J’entendis soudain un hurlement lointain qui me glaça le sang. Ça ressemblait à la plainte atroce d’un… loup ?

– C’était quoi, ça ? demandai-je, la voix tremblante.

– Oh. Il n’est pas content, monsieur le loup.

– Qu’est-ce que tu veux dire ? fis-je en passant au tutoiement comme elle l’avait fait juste avant.

– Qu’il va y avoir du grabuge.

– Tu peux être plus précise ?

– Écoute, je sais pas combien de temps on a devant nous, alors sois attentif. Si on parvient à sortir d’ici, tu restes à côté de moi et tu fais ce que je te dis de faire, c’est compris ?

bottom of page